Luis Andrés Bredlow – Essais d’hérésie
$16.80
Postface d’Anselm Jappe
Traduit de l’espagnol par Manuel Martinez, avec la collaboration de Marjolaine François
Nombreux sont ceux qui proclament de nos jours la fin des idéologies et la perte de la foi et des idéaux. À rebours d’un tel constat, estimant qu’il ne s’est opéré qu’un changement minime des formes de rituels de sacrifice et des noms des idoles ou des idéaux, Luis Andrés Bredlow se livre à un exercice d’hérésie afin de mettre au grand jour le cœur du désordre dominant actuel. Dans ces dix « essais d’hérésie », il entreprend une analyse et une dénonciation des divers fétiches qui ont succédé au Dieu monothéiste dans notre monde : l’État et l’argent, le travail et le marché, le progrès et le futur, par la voie plutôt indirecte de l’attaque contre quelques-unes de leurs manifestations les plus immédiatement palpables et fâcheuses : la barbarie urbanistique ; la manie de tout réformer et restructurer en permanence ; la substitution de l’air par son succédané chimique ; la confusion entre le service public et les prestations personnalisées des bureaucraties étatiques ; le fléau du tourisme (qui est le contraire du voyage) ; la condamnation des études à se convertir en une sorte de simulacre du travail à l’usine ; les trafics de substances mortifères et le commerce fondé sur leur prohibition ; le culte démentiel voué à la grande vitesse ; la superstition de la majorité qui prend le nom aujourd’hui de démocratie ; l’assimilation des traditions populaires vivantes au spectacle des identités culturelles.
Conjuguant sobriété et profondeur, humour et intransigeance, les Essais d’hérésie mettent à nu la nature essentiellement théologique du système économique et ouvrent de nombreuses pistes pour s’affronter à ses manifestations les plus destructrices faisant ainsi écho aux luttes sociales, environnementales et politiques actuelles.
L’auteur
Luis Andrés Bredlow (1958-2017) a enseigné l’histoire de la philosophie à l’université de Barcelone. Poète, traducteur, essayiste, philosophe, spécialiste de Parménide, il a contribué aux revues barcelonaises Archipiélago, Mania et Etcétera, dans lesquelles il a publié de nombreux articles de critique sociale ainsi que des traductions de textes de la critique de la valeur. On lui doit, entre autres choses, une traduction du passage sur « Le caractère fétiche de la marchandise et son secret » du Capital de Marx (introduite par Anselm Jappe), une édition des Écrits mineurs de Max Stirner, des traductions commentées des œuvres de Gorgias et de Diogène Laërce, une introduction à la philosophie de Platon et à celle de Kant, ainsi qu’une édition critique du Poème de Parménide en collaboration avec Agustín García Calvo.
Table des matières
– Prologue
– Le culte de la laideur
– Réformes, non merci
– Airs de progrès
– L’Etat contre le public, le public contre l’Etat
– L’escroquerie du tourisme et la décadence du voyage
– Comment travaille un philosophe ?
– Drogues, argent et autres poisons
– Nous ne voulons pas aller vers le futur
– Raisons contre la démocratie
– Notes sur la résistance, la tradition et l’indigénisme
– Souvenirs de Luis Andrés Bredlow – par Anselm Jappe
Une présentation partielle
Dans le premier essai, constatant la tendance actuelle à l’uniformisation des constructions et à la progressive bétonisation du monde, l’auteur interroge les raisons d’un tel « culte de la laideur ». Il analyse successivement les arguments les plus répandus : renouvellement des considérations esthétiques, primauté de l’utile et du fonctionnel sur le beau, corruption de l’utilité par les intérêts économiques. S’appuyant sur de nombreux exemples architecturaux, il contredit tour à tour ces différentes explications : l’utilité n’a jamais été fâchée avec la beauté, de nombreuses constructions qui relèvent de la laideur impliquent des dépenses matérielles et énergétiques exorbitantes. Le mécanisme sous-jacent est bien plus profond et théologique : tout ce qui est beau et agréable est, de nos jours encore, considéré comme mauvais et coupable de péché, seuls les rituels et les noms des idoles ont changés. Parcourant l’histoire du capitalisme à partir du xixe siècle, il observe comment la dissolution progressive des classes antagonistes, et leur réduction en simple gradation quantitative du rang hiérarchique au sein de la même échelle, a mis fin au rêve de la vieille bourgeoisie d’une vie de beauté, certes réservée à une minorité, mais qui offrait toutefois aux yeux des misérables la promesse de la vie bonne dont ils étaient privés et constituait une menace de subversion. Les idéaux actuels d’uniformisation et de planification répondent ainsi à l’essence même de l’argent, réduire en idée et abstraction toute chose et gommer les souvenirs et savoirs des gens. Face à un tel phénomène, plusieurs pistes sont évoquées par l’auteur parmi lesquelles la réappropriation de la question du logement par l’autoconstruction en commun d’habitats et celle des techniques de constructions traditionnelles par les architectes.
Dans « Réformes, non merci », l’auteur questionne la nécessité impérieuse et actuelle de constante innovation et modernisation dans tous les domaines. Il montre par de nombreux exemples tirés du quotidien comment cette restructuration permanente bouleverse profondément nos habitudes. Rien n’est plus caduque que la vision d’un oppresseur, statique et immobiliste, face à une lutte réformiste. Le capitalisme promeut la réforme permanente et entrave ainsi l’habitude et l’ingéniosité des gens ordinaires afin de justifier les institutions et entreprises vouées à un travail de planification qui se prétend éternel.
Le troisième essai traite de la problématique de l’omniprésence de l’air conditionné en tant qu’exemple de marchandisation de tout ce qui était proverbialement gratuit, comme l’air que l’on respire. Il analyse l’inversion qui a lieu de nos jours : au lieu d’apprécier l’innovation technique en raison d’une plus grande commodité, on mesure désormais la supposée « qualité de vie » uniquement à l’aune du degré de mécanisation et d’institutionnalisation que l’on a atteint. Dans l’actuelle société du gaspillage, où l’abstraction matérialisée devient objet d’elle-même, on ne consomme plus autre chose que de la consommation et on ne produit plus que de la production, de même que ne progresse désormais que le progrès lui-même. Évoquant le témoignage d’une personne intolérante à l’air conditionné dans le train et la réponse de la compagnie ferroviaire, l’auteur conclut que le sujet désireux de ce progrès, « la majorité », est aussi insaisissable et abstrait que l’objet de son désir. Ne pas appartenir à la majorité est donc un acte politique, ne serait-ce que pour pouvoir respirer.
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