Thèses pour une théorie critique de l’État
Traduit de l’allemand par Matthieu Galtier et Johannes Vogele
Il est devenu banal de dire que Marx n’a pas laissé de théorie achevée de l’État. Le Capital implique pourtant dès son sous-titre (« Critique de l’économie politique ») que la sphère politique et le fait étatique sont des composantes essentielles du capitalisme. Or, la critique marxienne des catégories économiques reste incomplète précisément à cet égard. La gauche tant marxiste que social-démocrate, constitue aussi l’héritage, l’expression et la conséquence de ce déficit. Quelles relations intrinsèques lient l’État moderne et le capitalisme, la sphère politique et le marché, l’État démocratique et l’état d’exception ? Pourquoi peut-on dire qu’un mouvement émancipateur conséquent ne saurait écarter de ses objectifs la dissolution de l’État ?
C’est sous la forme de thèses que Robert Kurz examine ces questions. Dans un style saisissant, l’auteur passe en revue les principales pensées politiques tant fondatrices et apologétiques – Hobbes, Rousseau, Hegel, Kant – que critiques et oppositionnelles, et cherche à établir des fondements nouveaux pour une théorie critique cohérente de l’État, à partir aussi bien des limites de la critique anarchiste chez Bakounine que des réflexions fragmentaires et conceptuellement incohérentes de Marx et Engels. Kurz aborde ainsi l’ensemble des processus d’étatisation des sociétés ou d’instauration du sujet politique moderne, et leurs prolongements dans le mouvement ouvrier et les « modernisations de rattrapage ». C’est, enfin, en s’attaquant à la foi en l’État de la social-démocratie et de la « gauche radicale » que l’auteur en appelle à une théorie à la hauteur du désastre en cours.
Table des matières
1. L’État comme « dernier recours » et les formes de l’évolution de la crise capitaliste mondiale
2. Insuffisance des théories sur l’État et controverse sur la théorie de la crise
3. Développement capitaliste et historicité de la théorie : L’« héritage » des Lumières bourgeoises dans la gauche de modernisation
4. Théorie du contrat dans le contexte du droit naturel et pouvoir d’État absolu chez Hobbes
5. Patriarcat objectivé de la modernité et caractère androcentrique du Léviathan
6. « Économie politique » absolutiste et liberté de concurrence des propriétaires bourgeois
7. Du libéralisme théologique à la forme transcendantale de la « volonté générale » chez Rousseau
8. L’« impératif catégorique » kantien et le renoncement éclairé à sa propre majorité
9. Adam Smith et la « main invisible » de la concurrence comme autre face de la « volonté générale »
10. L’idéalisme étatiste allemand comme pseudo-dépassement idéologique du dédoublement de la « volonté générale »
11. Conceptualisations anglo-saxonne, française et allemande-völkisch de la « volonté générale »
12. Violence du « rapport de nature » entre les Léviathan et sa limitation par le marché mondial
13. La « paix perpétuelle » kantienne comme projet d’institution méta-étatique répressive de la « volonté générale » et sa négation chez Hegel
14. La bataille entre Léviathan impérialistes pour le pouvoir mondial de la « volonté générale »
15. Deux nations en une. État des propriétaires bourgeois et retard de modernisation
16. La citoyenneté comme horizon tronqué d’émancipation et la fonction modernisatrice du mouvement ouvrier
17. Récidive féministe de l’émancipation tronquée
18. L’idéalisme étatiste allemand comme précurseur du mouvement ouvrier et l’expansion capitaliste des fonctions étatiques
19. La critique de l’État chez le jeune Marx : les contradictions de la « volonté générale » transcendantale
20. Double Marx et double détermination du politique
21. Le concept d’État réduit au sociologisme de classe chez Marx et Engels
22. Trente ans après : la reprise du concept tronqué d’État dans l’Anti-Dühring d’Engels
23. Pourquoi l’anarchisme ne constitue pas une alternative : critique non-conceptuelle de l’État chez Bakounine et Cie
24. Confrontation conceptuellement confuse avec les bakouninistes
25. Lutte pour les besoins vitaux dans le capitalisme et auto-constitution politique
26. « Dictature du prolétariat » et déficit dans la théorie de l’État
27. Traumatisme et légende de la Commune de Paris
28. Le problème de la synthèse sociale : « boîte noire » de l’idéologie coopérative
29. Subjectivisation et individualisation méthodologiques dans les sciences bourgeoises
30. La dictature de crise du Léviathan, ou l’état d’exception comme condition et conséquence de la « volonté générale »
31. La politique comme détermination existentielle de l’ennemi
32. État d’exception et aptitude à la politique
33. Exécutants et exécutés de l’état d’exception
34. Catastrophe pour l’humanité, pragmatisme conscient de l’urgence et idéologie de sauvetage dans la gauche démocratique
35. Misère du positivisme juridique
36. La foi sociale-démocrate en l’État et ses métamorphoses
Aperçu de la troisième partie
L’auteur
Robert Kurz (1943-2012), est avec Anselm Jappe, l’un des principaux théoriciens, de la « critique de la valeur », un courant international élaborant une critique radicale du capitalisme fondée sur une relecture novatrice de Marx, à contre-courant du marxisme traditionnel. Parmi ses ouvrages traduits : L’Effondrement de la modernisation (Crise & Critique, 2021), Raison sanglante (Crise & Critique, 2021), Vies et mort du capitalisme (Lignes, 2011), Lire Marx (Les Balustres, 2012), Impérialisme d’exclusion et état d’exception (Divergences, 2018), La substance du capital (L’Echappée, 2019), L’industrie culturelle au XXIe siècle. De l’actualité du concept d’Adorno et Horkheimer.